Les origines de la thermométrie

Introduction

On a mis longtemps à séparer la notion de température de la notion de quantité de chaleur échangée. La sensation de changement de température repose essentiellement sur un phénomène physiologique, le corps humain n’étant capable de détecter que des différences de températures. Le concept s’arrêtait simplement à la sensation de chaud et de froid. Les exemples les plus marquants sont la température des cavernes ou la température de l’eau des lacs : ces températures sont très stables et dépendent très peu des saisons, par contre les sensations qui sont ressenties par le corps humain sont totalement différentes en fonction des températures extérieures et des caractéristiques des différents corps. En effet en hiver, l’intérieur des cavernes ou l’eau des lacs nous donne une sensation de chaleur et en été une sensation de froid.

Les premiers écrits sur la température datent du célèbre médecin grec Galien (130-200 ans après J.C.) qui se fondait sur les idées du savant grec Aristote (384-322 ans avant J.C.). Il pensait que les sensations de froid, d’humidité et de sécheresse différaient d’un individu à l’autre.

Plus d’un millénaire plus tard, en 1578, le docteur Hasler, à Berne, en Suisse, faisait encore référence à Galien en attribuant divers degrés de chaud et de froid aux mélanges de médicaments. A cette époque il n’existait toujours pas de moyen de mesurer la température et pourtant Philon de Byzance, savant grec, savait déjà 140 ans avant J.C. mesurer la dilatation de l’air lorsque celui ci était chauffé. Mais cet appareil n’était pas conçu pour donner la température.

Aussi curieux que cela puisse paraître on ne connaît pas exactement l’époque et le nom du savant qui aurait tenté une première réalisation d’un thermomètre (du grec thermos: chaud et métron : mesure) pour la température ambiante. On attribue généralement l’invention du thermomètre à Galilée, illustre mathématicien et astronome italien, en 1592. Pendant la seconde moitié du 17ème siècle, Boyle, physicien et chimiste anglais, proposa d’adopter comme température de référence (point fixe) le point de fusion de la glace. En 1612 Santorio de Padoue fait la description d’un appareil conçu pour mesurer la température. Il semble que pour la première fois en 1632 un physicien français, Jean Rey, utilisa un liquide plutôt que de l’air dans un thermomètre en verre dont l’extrémité était ouverte et qui contenait de l’eau. Renaldini en 1694 imagina comme points fixes les points de congélation et d’ébullition de l’eau. Le premier vrai thermomètre fut inventé par Ferdinand II, Grand Duc de Toscane. Ce fut un thermomètre à alcool en verre scellé construit vraisemblablement vers 1641. Dans les archives de l’Académie de Florence de 1657 on trouve traces d’expériences faites sur les thermomètres à mercure. Les académiciens conclurent que les thermomètres à alcool étaient plus commodes. Ce fut dommage, les thermomètres à mercure étant beaucoup plus précis et plus stables dans le temps. Il fallut encore attendre 60 ans pour que Fahrenheit, physicien Prussien, construise en 1714 des thermomètres à mercure divisés en 180 intervalles égaux auxquels il attribua 32 au point de fusion de la glace et 212 au point d’ébullition de l’eau. Réaumur, physicien et naturaliste français, adopta quelques années plus tard les mêmes points fixes, mais ils reçurent les valeurs 0 et 80. Celsius proposa en 1742 la division centésimale de ce même intervalle.

Premières échelles de température

Fahrenheit, Réaumur, Celsius venaient de définir des échelles thermométriques qui faisaient appel à une grandeur physique que l’on peut appeler “phénomène thermométrique”, en l’occurrence une dilatation.

Le savant français Amontons (1663-1705) mit au point à peu près à la même époque le thermomètre à gaz à volume constant. Selon lui la température était proportionnelle à la pression des gaz. On arrivait ainsi à deux réalisations d’échelles thermométriques totalement indépendantes.

Fahrenheit, grâce à la fabrication de thermomètres à mercure fiables et stables, mit au point un échelle reproductible qui s’appuyait alors sur deux points fixes et qui lui permit de mesurer les points d’ébullition des liquides jusqu’à 600 degrés (dans l’échelle qu’il avait conçu).

Amontons en se servant de l’air comme fluide thermométrique trouva que le rapport entre “la chaleur estivale la plus élevée et le froid hivernal le plus bas”, était à Paris d’environ 5 à 6. Il pensait aussi que la température la plus basse correspondait à une pression de gaz nulle. On voit ainsi que se développaient deux aspects de la thermométrie, un aspect pratique et un aspect thermodynamique (du grec thermos et dunamikos : forces) qui ont permis par la suite de donner à la température une définition indépendante de toute propriété de la matière.

Ces deux approches des échelles thermométriques nous amènent aux travaux de Chappuis sur les thermomètres à gaz qui débutèrent au BIPM dès 1884. Ces travaux succèdent à ceux de Charles, Dalton, Gay-Lussac et Régnault.

Pour les différentes réalisations répertoriées ci-dessus chaque thermomètre a sa propre échelle. Cependant pour qu’ils soient utilisables, il faut que les températures qui y sont exprimées soient comparables entre elles, c’est à dire qu’elles puissent être exprimées dans la même échelle avec la même unité. Ceci exige une mesure absolue de la température et un repérage sur une échelle définie avec la plus grande rigueur par un accord international.

Il restait à franchir une étape supplémentaire, trouver un moyen de mesurer les températures indépendamment d’un instrument particulier.

C’est Gay-Lussac qui proposa le premier d’utiliser les propriétés d’un gaz “parfait”. Dans un gaz parfait la relation qui lie la pression P, le volume V et la température T prend une forme relativement simple PV = nRT, où n est le nombre de moles contenues dans V et R est une constante. D’après Charles, le coefficient d’augmentation de pression d’un gaz parfait à volume constant désigné par o est indépendant de la pression et de la température ainsi que de la nature du gaz. Gay-Lussac après avoir démontré que le coefficient de dilatation  d’un gaz parfait est constant et indépendant de la nature du gaz donnera  = o  1/273. Un gaz parfait permet donc de définir une échelle, indépendante de la nature du gaz, uniquement en mesurant la pression p0 , au point de fusion de la glace. Une température quelconque mesurée par la pression p sera définie par l’équation p = p0o (t+1/o) = p0oT. La quantité T = t+1/o s’appellera la température absolue et on aura T  t+273. Ceci s’énonçait de la façon suivante “La température absolue est égale à la température centésimale augmentée d’environ 273”.

On ne peut pas parler de thermométrie sans évoquer les travaux de Callendar sur les thermomètres à résistance de platine et de Le Chatelier sur les thermocouples platine/rhodium vers la fin du 19ème siècle. Les premiers sont basés sur la variation de résistance d’un fil de platine pur en fonction de la température et les seconds sur la force électromotrice produite au contact de deux métaux différents, en fonction de la température du point de contact.

Toutes ces recherches sur la thermométrie ont culminé avec l’adoption en 1927 de l’Echelle Internationale de Température.

La Commission Internationale du Mètre et la mesure des températures

Dès la création de la Commission Internationale du Mètre en 1870, on peut lire dans les procès verbaux que la température a une très grande importance surtout dans la détermination du Mètre international : “A quelle température le Mètre International doit-il avoir la longueur du Mètre des Archives de France? (étalon de longueur défini à partir du méridien terrestre en 1799)”. Une commission est créée en 1872: “Thermométrie et dilatation”. On peut lire dans le compte rendu des séances: “Les prototypes seront soumis aux meilleurs procédés à l’aide desquels on pourra déterminer les coefficients de dilatation absolus des mètres entiers. Ces mesures seront faites séparément, au moins à cinq températures différentes comprises entre 0 et 40 degrés centigrade”.

A cette époque de nombreux laboratoires nationaux avaient réalisé des travaux importants en thermométrie, cependant on peut considérer comme origine de la thermométrie moderne les travaux de Chappuis, physicien au BIPM à partir de 1882. Chappuis a étudié, à la demande du Comité International des Poids et Mesures à partir de 1884, différents thermomètres à gaz en utilisant l’azote, l’hydrogène et le dioxyde de carbone. Le gaz “parfait” n’existant pas il fallait en effet trouver un gaz réel obéissant avec la meilleure approximation possible à la loi des gaz parfaits. Les différences des échelles thermométriques fondées sur ces gaz ont été déterminées pour chaque gaz par rapport à l’échelle du thermomètre à mercure, elle même formée de huit thermomètres construit par Monsieur Tonnelot à Paris. Tout ces thermomètre sont encore aujourd’hui précieusement conservés au BIPM.

Les archives très importantes des travaux de Chappuis au BIPM [1] ne donnent qu’une petite idée de la complexité du problème. Il faut en effet se souvenir qu’à cette époque tout était à faire. Par exemple, après avoir fait le choix du verre et son analyse chimique, par M. Tonnelot, la construction des thermomètres à mercure demanda de longs mois d’effort. Il fallut ensuite les étudier et les comparer.

La deuxième partie de l’expérience consistait à mesurer les températures avec les thermomètres à gaz. Le premier choix porta sur la méthode à employer : thermomètre à volume constant ou thermomètre à pression constante. L’emploi de l’une ou de l’autre méthode paraissait également justifiée. Dans le premier cas on mesure la température par les changements de pression d’une masse gazeuse dont le volume est invariable, dans le deuxième cas on mesure la température par les changements de volume d’une masse déterminée de gaz à pression constante. Chappuis choisira le thermomètre à gaz à volume constant. Il fallut en premier lieu déterminer le volume et le coefficient de dilatation du réservoir thermométrique ainsi que “l’espace nuisible”, c’est à dire les parties où se trouve le gaz en dehors du réservoir. Les mesures des pressions se feront à l’aide d’un baromètre construit à cet effet. La position des niveaux des ménisques de mercure sera déterminée avec un cathétomètre et une règle en laiton construits spécialement par la Société Genevoise en Suisse. Puis après une longue étude de tous ces instruments auxiliaires, il fallut préparer les gaz. L’azote fut obtenu en faisant passer de l’air sur du cuivre chauffé au rouge et était recueilli sur une solution concentrée de potasse caustique. Le dioxyde de carbone fut préparé par décomposition de bicarbonate de soude avec de l’acide sulfurique et enfin l’hydrogène par l’électrolyse d’une solution d’acide orthophosphorique. Tous ces travaux, qui nécessitèrent de nombreuses années de préparation et de mesures, menés avec un soin extrême ont eu pour résultat une exactitude estimée meilleure que le centième de degré sur pratiquement la totalité du domaine couvert. Cela constitue une performance remarquable et Chappuis put ainsi déterminer les écarts entre les différents thermomètres à gaz. Chappuis continua ses expériences sur les thermomètres à gaz en utilisant cette fois le thermomètre à pression constante. La conclusion fut que le thermomètre à volume constant était plus pratique d’emploi. Sur les recommandations de Griffiths, de l’observatoire de Kew, qui avait développé les thermomètre à résistance de platine avec Callendar, il fit des mesure à hautes températures.

Grâce aux mesures de Chappuis, le CIPM adopta en 1887 (décision qui fut ratifiée par la première CGPM en 1889) l’échelle à hydrogène à volume constant (appelée aussi échelle à hydrogène normale). Callendar de son côté fit avec un thermomètre à azote à pression constante des mesures sur de nombreux points de congélation et d’ébullition. Cependant l’utilisation du thermomètre à gaz étant trop compliquée pour les besoins courants, il proposa en 1899 une échelle pratique de température fondée sur des thermomètres à résistance de platine. Il demanda au CIPM de comparé les thermomètre à résistance de platine, qu’il avait construits, avec le thermomètre à de Chappuis. Avec la collaboration Harker, de l’observatoire Kew, Chappuis fit cette comparaison au BIPM. Callendar proposa ensuite d’adopter comme instrument de définition de l’échelle un thermomètre à résistance de platine étalonné a différents points fixes. Il se fondait pour cela sur les résultats obtenus par Chappuis (et Harker) au BIPM. Il ne fut pas suivi et il fallut attendre 1923 pour que les discussions reprennent sur ce sujet. On parvint rapidement à un accord de principe sur une échelle fondée sur le thermomètre à résistance de platine qui irait de -38°C (point de congélation du mercure) à 650°C avec des étalonnages à 0°C, 100°C et au point d’ébullition du soufre à 444,5°C. Au delà de 650°C l’échelle serait définie à l’aide de thermocouples Pt/PtRh à 10%. Au dessus du point de l’or, 1063°C, il était proposé d’utiliser un pyromètre optique (du grec puros : feu et métron) fondé sur la mesure du rayonnement émis par les corps à haute température.

Finalement, l’échelle adoptée par la 7ème CGPM en 1927 différait très peu du projet de 1923. Le CIPM créa un Comité Consultatif de Thermométrie dont la première réunion se tint au BIPM en 1939. Il est remarquable de constater que la résolution Un de cette première séance fut l’adoption de la valeur du point de fusion de la glace à 273,15 dans l’échelle Kelvin (unité de température thermodynamique).

Bien que dans les détails l’EIT-27 ait été modifiée par la suite par les CCT, les principes aujourd’hui restent les mêmes ; l’EIT-90 comporte une série de points fixes de définition ainsi que la spécification d’instruments et d’équations pour opérer les interpolations entre les différents points fixes.

Par Roger Pello

Références

1 M.P. Chappuis, Etudes sur le thermomètre à gaz et comparaison du thermomètre à gaz avec le thermomètre à mercure, Travaux et Mémoires du BIPM, Volume VI, 1888.

Bibliographie

T.J. Quinn, Les origines de la thermométrie et l’évolution des échelles de température, Bulletin BNM, N°99, 1995.

G.Girard, L’Echelle Internationale Pratique de Température de 1968, Annuaire du Bureau des Longitudes, 1971.

BIPM Bureau International des Poids et Mesures, Sèvres (France).

CIPM Comité International des Poids et Mesures.

CGPM Conférence Générale des Poids et Mesures.

EIT Echelle Internationale de Température.

CCT Comité Consultatif de Thermométrie.